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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/15

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lunettes qui reluisent diaboliquement aux vacillations des lustres. On pénètre là pour la somme de vingt centimes, encore donnent-ils droit à un verre de bière de Louvain, que des garçons distribuent à la ronde. La foule est énorme. Mais ceux qui n’ont pas vu le Rubensbal ne savent pas ce que c’est que de danser. Les jupes tournent comme des volants de raquettes ; on s’empoigne au vol par la taille, on pivote frénétiquement, on se lâche, on tombe dans des bras ouverts, sur des poitrines dilatées par la joie, contre des visages rubiconds dont les yeux clignent et se ferment à demi. Souvent le hasard jette une danseuse aux bras d’une autre danseuse, et vice versa ; mais on ne s’arrête pas pour si peu. Nous avons vu de la sorte deux soldats valser longtemps ensemble, les regards au ciel, sans s’apercevoir de leur bévue. L’orchestre aux yeux luisants accomplit des prodiges de tapage et secoue tous les chapeaux chinois de la musique joviale. Un nuage de fumée s’épaissit peu à peu au-dessus des corybantes, et il masquerait leur bonheur aux yeux des mortels si de braves courants d’air n’y mettaient bon ordre. Si l’on s’amuse ainsi avant les fêtes, que sera-ce, grands dieux ! quand les carillons et les salves en auront ouvert le paradis flamand et ses annexes.

Le programme de cette kermesse de dix jours est très varié et tout à fait affriolant, car il garde un caractère intime, une couleur du cru, par où il se distingue des fêtes banales. On n’a rien fait venir de Paris, ni les fleurs, ni les lampions. C’est à peine si j’ai entendu parler de certains transparents énormes, demandés à M. Chéret, notre décorateur. Encore la ville eût-elle parfaitement suffi à cette beso-