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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/159

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l’oignonnée, il me devait la goujonnée. C’était son tour et sa tournée, sans parler d’un petit vin gris de Lorraine dont je lui dirais des nouvelles. Le cabaret était à cent pas de là, sous le pont, un rendez-vous de pêcheurs à la ligne, « amusant » comme un Jan Steen, avec une belle fille haute en verbe comme en couleurs, qui ressemblait au Frans Hals de la galerie Lacaze, au Louvre.

Ce fut au cours de ce déjeuner de paysagiste où de bonnes histoires d’atelier alternaient avec des aperçus d’esthétique la plus hautaine, que le grand peintre me sollicita d’un service si singulier en sa modestie que je le mets encore, en y pensant, au compte du vin gris de Lorraine.

Antoine Vollon hantait beaucoup chez Alexandre Dumas, pour qui il professait une admiration d’ailleurs réciproquement rendue. C’était l’auteur de la Dame aux Camélias qui lui avait acheté ce fameux « Casque d’Henri II » qui est le parangon de la facture en nature morte. Il lui gagnait aussi, au jeu de billard, des esquisses proposées pour enjeu par l’artiste lui-même. Or, à la table de l’académicien, Vollon se trouvait souvent gêné et mal à l’aise au milieu des savants, des lettrés et souvent des membres de l’Institut, dont son hôte était l’amphitryon. — Je ne sais que leur dire et surtout que leur répondre, me confiait-il. Je n’ai point reçu d’instruction, à Lyon, et je n’ai point le temps de boucher le grand trou de ma tête. Obligez-moi de me choisir les douze livres qu’il faut avoir lus, les fondamentaux seulement, pour ne pas avoir l’air d’un âne en société et ne pas faire honte à M. Alexandre Dumas. J’ai recours à votre amitié.