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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/169

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un grand éditeur de la Ville Lumière, avait passé « grosse légume » du pot-au-feu de la bourgeoisie française ; il ne pouvait plus, sans compromettre son crédit héréditaire, représenté par une signature fameuse, laisser supposer que le faix d’un journal fût trop lourd sur ses épaules et qu’il le laissât tomber faute d’argent. Donc à moi de sauver la mise. C’était pourquoi j’errais dans la rue aux actionnaires.

Ce n’est pas trop de dire que j’y errais à la façon des « chauds d’habits » et des « tonneaux à vendre », l’œil aux fenêtres, dans le désarroi assez poignant de mes mœurs indépendantes d’artiste et de ma philosophie ploutophobe. J’en étais venu à me demander s’il était plus « malin » de m’adresser à celles-ci, de banques, qui arborent aux balcons les cent millions hyperboliques de capital, qu’à celles-là qui n’en étalent que la modeste dizaine et qui, étant pauvres, doivent être forcément honnêtes. — Qu’eût fait Balzac ? me disais-je, et j’y rêvais devant les portes. C’est ainsi que je m’arrêtai à l’huis de l’Union générale, alors dans toute la frénésie de sa gloire antisémite, et qu’attelaient à doubles rênes MM. Feder et Bontoux, de cataclysmique mémoire.

Il m’en était arrivé la veille, une vraiment bonne et dont je jubilais encore. Sur une indication de Sarah Bernhardt, toujours fidèle à sa chère Vie Moderne, j’avais demandé une entrevue à un jeune spéculateur fort en vue à l’époque et ami des arts, M. Aimé Pellorce. Le jour de l’audience, j’avais rencontré rue Cambon, où habitait le financier, cet extraordinaire Bachaumont dont je vous ai tracé la silhouette boulevardière, et à qui j’avais confié l’embarras où me plongeaient toujours ces visites de