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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/171

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pour un ferblantier cafre ou hottentot. Toutes les forces du style pipelet s’étaient condensées pour ajouter à l’affreuseté du socle l’épouvante d’un Hercule enfant, allégorisé par un M. Thiers sans lunettes, qui, d’un petit poing colossal, étranglait un serpent acaude, aux replis perdus dans la fonte, où se dessinait le chef austère de M. Guizot tirant la langue. L’inspiration du Saint-Michel de Raphaël était flagrante et navrante. On y sentait palpiter la foi politique de l’ouvrier d’art, l’exaltation du goût Ludovico-philippiste, le génie de la garde citoyenne, l’âme civique et prolétaire, que sais-je, l’atelier national de Louis Blanc.

Et elle marchait, cette pendule.

Elle m’avait désarmé de toute espérance. Ah ! cet Aimé Pellorce, comment Sarah Bernhardt me l’avait-elle préconisé comme ami des arts ? Lorsqu’on exhibe chez soi de pareils monuments de l’industrie métallurgique, on ne souscrit pas à une Vie Moderne, cela va de toute évidence.

Bachaumont, qui, malgré sa folie de mégalomane, était très intelligent, la regardait marcher avec une telle stupeur que son nez en traînait par terre.

Allons-nous-en, lui dis-je, c’est le plus sage.

— Au contraire, fit-il, nous le tenons. Je ne le lâcherais pas pour vingt mille livres sterling.

Et d’un moulinet de sa canne, il paraphrasa sa déclaration par un coup sur l’Hercule enfant sans lunettes. La pendule continua à marcher, que dis-je, elle tinta la demie d’un faible son aigrelet qui évoquait sataniquement l’organe même de l’icône.

Comme la bonne ne reparaissait pas, mon dompteur d’actionnaires me proposa de tuer le temps