Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans une réunion publique, nous reçut à l’heure dite.

Je ne l’avais jusqu’alors approché que trois fois, l’une dans les bureaux de La République française, Chaussée d’Antin, une autre à un dîner chez Georges Charpentier même et la troisième dans le hall de La Vie Moderne, où il était entré, avec Spuller, voir une exposition de Claude Monet. L’impression qu’il m’avait laissée était d’une simplicité de manières aussi peu dictatoriale que possible. Nul n’était moins infatué de sa renommée européenne, nul moins poseur, plus « ronde-bosse » comme dit Aristide Froissart, et ceci est le signe d’élite, n’en doutez pas. Toutefois, Gambetta souriait peu et il s’abstenait de ces traits barbelés (je ne parle ici que du causeur) dont les arbalétriers ont leur camp sur les boulevards. Il était avisé des choses d’art sans être très curieux, lettré comme un rhéteur romain qui n’a du verbe que la parole, sensible en bourru, et, je crois, plus affectueux, meilleur ami, que ne le sont les meneurs de masses. L’effet que m’a toujours produit son individualité toute méridionale est assez contradictoire et je ne saurais dire pourquoi il me semblait à la fois supérieur et inférieur à lui-même, supérieur par ce qu’il en réservait, inférieur à ce qu’on en attendait, comme trop petit dans une armure d’ailleurs noblement portée.

Toutes les statues à gestes héroïques que la piété patriotique lui a dressées, sont, à mon gré, à contresens physiologique de sa personnalité cordiale, plus entraînée aux mots qu’aux faits et parfaitement incapable, comme un Danton par exemple, de ces grands crimes qui sont des vertus de l’Histoire. On s’est