Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/184

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vaut tard que jamais, promulgue un proverbe assez triste. Amen !

Trente-deux ans, — car le bon géant s’en est allé le 8 mai 1880, sans avoir même atteint la soixantaine, étant de 1821.

Peu de ses contemporains, même parmi les jeunes du temps, assisteront à ce festival rédhibitoire, où l’éternelle bêtise humaine fera une fois de plus amende honorable au génie. Je cherche autour de moi ceux qui, sexagénaires à leur tour, peuvent encore, autour de la statue, s’entretenir du modèle, et déjà je ne me nomme plus personne. Tous ceux de son « grenier » sont partis. Ce beau tas de neige est fondu, comme celui des dames de Villon. Où est Daudet, où est Zola, où est Banville, où est Heredia, et Goncourt, et Coppée et Maupassant ? Où est Tourgueneff, qu’il appelait son « moscove » ? Ils ont rejoint, ah ! si l’on savait où, Renan, Leconte de Lisle et l’oncle Beuve, ses vieux amis, et la bonne Princesse et ce Maxime Du Camp, et le cher Louis Bouilhet, qui, « lui aussi, avait l’h dans son nom ! »

Mais que Rouen se rassure, tous ceux d’aujourd’hui seront là, le flambeau transmis à la main, puisque la torche passe, et, si vaste qu’elle soit, la place Flaubert sera trop petite, car l’heure est venue.

Je me rappelle l’effet terrible que produisit dans notre petit monde des poètes, le 8 mai 1880, la nouvelle de cette mort de Gustave Flaubert[1] à laquelle personne n’ajouta foi d’abord et qui fut traitée d’extravagante. Mort, qui, lui ? Comment, mort ? C’est

  1. Voir le deuxième volume des Souvenirs d’un enfant de Paris, de la page 129 à la page 150.