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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/185

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une méprise de nom au télégraphe. Il nous a quittés, il y a huit jours, pour aller bûcher à Croisset à son « Bouvard et Pécuchet », qui sera le roman de Joseph Prudhomme. Jamais il n’a été plus allègre et sonore. Au dîner des « Auteurs sifflés », qu’il présidait, il a débordé de lyrisme bouffon et, le gilet déboutonné, de verve rabelaisienne… Oui, mais il est mort. Et j’en sais qui fondirent en larmes comme des enfants. Dites, ah ! dites pourquoi il y en a, de ces maîtres, qui, plus aimés que les autres, semblent ne pas avoir le droit de mourir. On avertit, sanglotait l’un de nous, ne sachant plus ce qu’il disait, atonifié par ce foudroiement.

Le jour des obsèques, dans la maison de Croisset, sur la terrasse du jardin en bordure de Seine, nous n’étions cependant pas plus d’une vingtaine à la levée du corps. Inutile de vous dire, n’est-ce pas, que Rotomago n’était représentée par aucune autorité municipale. Quant à la presse, le seul Chincholle l’incarnait. Je le vois encore allant de l’un à l’autre, son carnet de reporter à la main, croquant des notes sténographiques. Lorsque le moment vint de se mettre en marche vers le cimetière de la ville, et quand Banville, Coppée et Zola eurent pris trois des cordons du corbillard, le pauvre Maupassant ne savait plus à qui faire dignement l’honneur du quatrième. Il finit par l’offrir à Philippe Burty, à défaut de Goncourt sans doute et pour se débarrasser de Chincholle qui le réclamait « au nom du Figaro ». Et l’on s’en alla lugubrement, sans escorte d’honneurs militaires ou religieux, le long de la rivière, entre les arbres en fleurs, rendre à la terre normande l’un de ses plus immortels enfants de gloire.