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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/20

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gaiement sur les murs et vont éventer les bourgeois à leurs fenêtres. C’est sous ce dais mouvant que nous sommes arrivés à la place Verte. Quelle foule ! Toute la Belgique est là assurément.

Il suffirait d’avoir traversé cette assemblée énorme pour rester convaincu de l’affabilité flamande. Personne ici ne joue des coudes et ne bouscule ses voisins pour atteindre sa place. Les femmes sortent de là sans avoir leurs jupes froissées. Bruyante sans tapage et remuante sans désordre, la foule conserve une dignité dans la joie.

La place baigne dans la lumière ; le ciel est pur avec des profondeurs bleuâtres et mystérieuses que la flèche de la cathédrale semble interroger de son index silencieux. Elle s’estompe en gris clair sur l’ardoise du ciel ; par instants, dans la lanterne du clocher, une petite lumière apparaît, luisante : c’est celle du carillonneur de l’église, installé devant ses cloches, et prêt à jouer sa partie dans le concert qui se prépare. Les façades des maisons, à travers les arbres de la place, ont de beaux jeux de clarté. Je me souviendrai longtemps de celle que j’avais à ma droite, une belle demeure blanche qui étincelait comme de l’or pâle. J’apercevais un salon intérieur, plein de glaces miroitantes, de lustres constellés de fleurs dans des vases et de meubles de soie bleue ; tout y nageait dans une atmosphère d’ambre. Sur le balcon, trois jeunes femmes assises s’éventaient et riaient ; toutes trois blondes et diversement belles de cette beauté flamande, robuste et allègre, que Rubens, à mon gré, a trahie en l’exagérant, car elle n’a rien d’épique. Elles étaient vêtues de costumes clairs, rayés de noir et ornés de dentelles ; les roses