Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/215

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1878, grand, élancé, portant haut un front intelligent, vaste, que couronnent encore des cheveux blonds, abondants et bouclés. La bouche est fine, les yeux bleus, doux, rêveurs, les extrémités aristocratiques, l’allure est souple et certainement entretenue par les exercices corporels qui sont l’hygiène de l’Angleterre. Mais tout cela comme dans le brouillard, et peint par Watts. Il reste immobile et, debout, la hallebarde dans le dos.

Ce n’est pas ce qu’on appelle : recevoir à bras ouverts, non, mais c’est mieux que l’accueil fait par un joueur de quilles à un chien fou qui traverse le stade. — Que désirez-vous ? — Mais… — En deux mots ? — Vous voir. — Qui êtes-vous ?…

De Nittis indique nos cartes sur le plateau. Il les prend, les lit et tout change. Il ne les avait pas regardées. Il est débordé de visites oiseuses, obsédé de mangeurs de temps. L’Académie n’est pas une sinécure et sa Présidence est une scie. Que n’est-il resté en Italie où l’on vit si heureux et si libre ! Il voudrait être pifferaro, ou lazzarone sur le port de Naples et manger des pastèques au soleil en chantant la Santa Lucia ! Voilà son rêve.

Il rit, gesticule, se démène et soupire. Ce n’est pas le Leighton, puritain d’art, de Pépé, c’est le mien, celui de Paris, épanoui, vibrant, artiste entre des artistes, désacadémisé, j’allais mettre désanglicisé. Ah ça ! pourquoi sont-ils comme ça chez eux et à quoi tend cette attitude de façade pédagogique et mamamouchique, s’ils la perdent en passant la Manche ? Il est parfaitement bon enfant ce peintre de la reine. Le voilà qui, pour nous conduire à son studio, enjambe trois à trois les marches de l’escalier ;