Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/244

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force d’avoir été jeté dans les camps philistins, et qui intrigue ses petits-enfants.

— À quoi vous a-t-il servi, grand-père ?

— Hélas ! à rien.

— Alors, donnez-le-nous pour faire jouer le chien dans la mer.

Et je le leur donne. Le chien le rapporte, et ce jeu est l’image de ma vie de chroniqueur.

Les « Chroniques de l’homme masqué » ont occupé l’en-tête du Voltaire pendant environ trois années. Elles ont été recueillies par l’éditeur Paul Ollendorff en 1882, sous l’égide d’une préface de Jules Vallès à qui, je l’ai déjà dit, le Dictionnaire Larousse me fait l’honneur de les attribuer à son tour. De cette erreur si flatteuse provient sans doute l’excessive rareté de l’ouvrage sur le marché des livres. Mais la préface seule suffirait à lui donner son prix. Elle est de la bonne encre de cet admirable écrivain, qui, malgré lui-même et en dépit de son apostolat révolutionnaire, ne fut que cela : un maître de la prose française. Les Goncourt ne s’y trompaient point qui l’avaient inscrit parmi les dix de leur académie éclectique, eux, ces aristos, lui, cet insurgé !

Passer du Voltaire au Figaro, c’était me mettre du dos sur le ventre par un saut de carpe dont seuls les chroniqueurs disputent le tour de force aux acrobates, et il m’a été sévèrement reproché par les rectilignes du parti libéral. Les rectilignes sont austères, mais leur austérité, mère de la mélancolie, cadre mal avec le scepticisme philosophique qui est la muse même de la chronique. Du reste, pendant la durée assez longue, près de neuf ans, de la publication des « Caliban » au Figaro, je n’ai jamais,