Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/245

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que je sache, forfait au pacte de la fidélité vouée dès ma jeunesse, à la Marianne idéale, qui, selon le mot génial de Forain, était si belle sous l’Empire. Mes chroniques figaresques ont été, elles aussi, réunies en volumes, et j’ai pu les signer de mon nom, sans y changer une ligne. L’Homme démasqué, comme disait Henry Becque, n’a pas à y rougir de Caliban, ils se ressemblent en frères. L’un est le cadet et l’autre est l’aîné, mais c’est le même rire de famille.

On m’a souvent demandé ce qui m’avait induit à choisir ce pseudonyme de Caliban, emprunté à La Tempête de Shakespeare et qui ne s’accorde d’aucune manière avec un tempérament de railleur plutôt bénévole. Mes premières « pages », pour parler comme Francis Magnard, arboraient bel et bien mon paraphe patronymique, mais elles avaient plu sans plaire et la réussite était restée indécise. Francis Magnard ne s’expliquait pas la réserve de la clientèle qui ne lui en donnait, elle-même, aucune raison, bonne ou mauvaise. « On sent, me disait-il, que vous tenez le bon bout, mais on vous le marchande. Le cas est tout à fait singulier. Je crois que le public se fait, sur les noms, des têtes à son idée et, qu’ici vous ne lui représentez pas la vôtre. Essayez donc d’un nouveau pseudonyme. »

— Vous me demandez de re-débuter ? objectais-je. — Daudet me l’avait prédit. — Je ne le demanderais pas à un autre, était sa réponse courtoise et narquoise, car elle était sa manière.

L’événement ratifia son conseil directorial, le gnome shakespearien décrocha la timbale, par surprise peut-être et grâce à l’artifice du mystère ; mais enfin il la décrocha, et, avec elle, le maréchalat de petite guerre