Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/27

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droit d’entrer partout et de ne sortir de nulle part, si bon me semblait. Tout a été inutile. Aucun Anversois n’a voulu ou su nous indiquer où avait lieu ce concours, en quoi il consistait et quel en était le programme. Ceux qui ne nous riaient pas au nez se mettaient bonnement en colère et nous prenaient pour des mystificateurs. De telle sorte qu’il n’y a rien de plus répandu à la fois en Belgique et de plus ignoré que l’art de la pêche à la ligne ! Conçois-tu un malheur comparable au nôtre ? Kæmmerer avait aiguisé son crayon le plus fin pour dessiner le profil de ces lutteurs alignés sur la rive et armés de ces longs bambous qui, selon Gavarni, ont toujours une bête à chaque bout. Pour moi, je comptais, vu l’intérêt du sujet, hausser mon style au ton de l’ode ; je rêvais de suspendre à mes lignes, moi aussi, l’amorce de quelques rimes…, n’en parlons plus. Mais, je t’en donne ma parole, ils étaient bien trois mille au défilé.

« Turba ruit » ou « ruunt », dit Lhomond, l’inventeur de la langue latine. Et l’on ajoute : l’un et l’autre se dit ou se disent. À Anvers, c’est « ruit » qu’il faut écrire, car la foule n’est, à proprement parler, qu’un bloc. Pour pouvoir apprécier la quantité de visiteurs amenés ici par la kermesse, il faudrait compter les pavés de la ville et multiplier le total par 2. Il y a certainement quatre pieds par pavé dans les rues. Personne ne marche ; on agite vaguement les mollets pour avoir l’air d’exister personnellement, mais c’est tout. Les Flamandes, là dedans, se montrent d’une indulgence encourageante et les Flamands d’une audace de haut goût. Tout le monde rit, personne ne se fâche ; et puis il y a des tradi-