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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/274

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Le Rhône est débordé, les fossés sont pleins d’eau ; elle vient jusque dans Avignon, ce qui désole les bourgeois et me rend, moi, très heureuse, car je trouve ça très joli de voir les pieds des maisons dans l’eau. — Je reçois ta bonne lettre. Comment, toi si brave as-tu pu pleurer comme une oie ? Prends garde que je ne te retire mon estime. Je ne suis pas morte. Gardons nos pleurs pour les morts. Après cela je ne puis te blâmer moi-même, puisqu’en voyant un beau char attelé de bœufs, mes yeux se sont mouillés en pensant au pauvre grand-père. Mais moi j’avais une raison, tandis que toi, ma chère, laquelle ? Je suis forte comme beaucoup d’hommes ensemble. Quand on a passé par les créanciers, qu’est-ce que les wagons ? Quand tu feras le voyage, tu t’en rendras compte. Ne sois donc plus inquiète. Cela m’étonne de ta part, je te croyais plus brave et rappelle-toi que l’absence et le temps ne sont rien quand on s’aime la semaine finie. — Et les chats ? Tu ne m’en dis rien du tout. Comment vont-ils ? Sont-ils sages ? J’ai ici une chatte très bien élevée et une petite fille qui parle patois et qui m’aime déjà beaucoup. La tante me soigne comme un objet rare, ainsi tu vois que tu n’as pas à te tourmenter. Je suis heureuse de voir que tu m’aimes si tendrement, mais si tu veux me faire un grand plaisir, ne pleure pas. Je m’ennuie bien quelquefois de ne pas t’avoir en personne, mais les gens que j’aime ne sont jamais absents de moi complètement, je les ai toujours dans les yeux de l’âme. Nous avons un temps superbe. »