Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/303

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même l’institution, n’est-ce pas ? Voilà toutes mes excuses dites.

Entre Porel qui n’aimait pas la pièce et La Rounat qui l’adorait, à la condition de la refondre de fond en comble, mon sort se dessinait, bizarre. Le système de Got de la parfaire à l’avant-scène avait uni les associés dans une réprobation directoriale qui, irritée d’une part et, de l’autre, dédaigneuse, n’en était pas moins unanime — Got est-il fou ? C’est un travail de cabinet, certifiait l’expert en chef, et je m’en charge. L’auteur est intelligent. — Cette flatterie ne me rendait pas docile encore, je disputais mon œuvre, fond et forme, pied à pied, à l’homme au critérium sûr, tandis que, dans l’ombre sombre et sans nombre, Porel, confident des dieux, jouait les pythies au repos et sans inspiration.

Le combat dura un an, je dis : un an. Je gâchais, je lâchais, je me fâchais, mais d’un mot aimable, comme il en avait plein la plume, La Rounat me ramenait dans ses rets, et je reprenais ma place d’auteur sur le chevalet de Procuste. C’était ce qu’il appelait drôlement : revenir à la question. Je me demande toujours, en y songeant, comment ce brave garçon, déjà assez malade, a pu tourner la roue et m’enfoncer les coins, douze mois de calendrier, sans défaillance, et je n’y vois, outre la foi, que le plaisir professionnel, car dès la sixième lune je ne me débattais plus, je lui cédais et concédais tout, tout, tout, mais il la voulait, la lune ! Ah ! oui, il aimait Le Nom, et que Porel le dise ! Je me rappelle qu’aux heures d’armistice, nous tombions l’un et l’autre, exténués, demi-aphones, chacun dans un fauteuil, et que nous nous regardions, la langue aux chiens.