Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/336

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M. Littré. — En fait de pieds, monsieur Jourdain, vous en avez deux, sans compter les mains, qui font quatre, et pourtant vous n’êtes pas poète.

M. Jourdain. — Que cela est singulier ! Car je fais pourtant du Ponsard, vous l’avouez vous-même, monsieur Littré. (Il scande) Donne-toi-donc-Marat…

M. Littré. — Oui, et non seulement vous en faites, mais vous faites aussi du Casimir Delavigne, de l’Émile Augier et de l’Édouard Pailleron tout ensemble.

M. Jourdain. — Mais ces auteurs ne sont-ils pas de l’Académie française ?

M. Littré. — Ils en sont ou en furent, certes !

M. Jourdain. — À quels titres ?

M. Littré. — À tous les titres, excepté à titre de poète. Ils ne sont pas nés tels. Ce n’est pas leur faute, soyez-en sûr, ni la vôtre, ni la mienne.

M. Jourdain. — Si je vous entends bien, et si le don de la poésie est inné, Nicole, ma servante, peut faire des vers tout comme une autre, à l’occasion ?

M. Littré. — Des vers, par hasard, peut-être ; du Ponsard, sûrement, et en tout temps, qu’il pleuve ou vente.

M. Jourdain. — Viens çà, Nicole, et fais-moi du Ponsard.

Nicole, révoltée. — Monsieur est un dégoûtant. Je ne suis pas chez lui pour ça. Je lui rends mon tablier.

M. Jourdain, à M. Littré. — En est-ce ?…

M. Littré. — De l’excellent.

M. Jourdain. — Ah ! que je vous ai d’obligations de m’avoir instruit de la sorte. Je vais pouvoir faire du Ponsard toute la journée et ma famille en crèvera de rage, ou d’ennui.