Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/339

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l’œuvre permanente d’extermination universelle. Que de raison dans les religions sanglantes, mais que d’esprit dans l’anthropophagique !

Lundi 5 décembre. — Lu à nos amis C… le quatrième acte du Fracasse. Ils le gobent ou paraissent le gober. Pour les remercier, je les initie à L’Illusion comique du vieux Corneille, bouffonnerie shakespearienne, dans laquelle il y a un Matamore à l’italienne sans pair où Gautier a certainement accroché le sien. Étonnante aussi, en 1636, cette apologie du comédien qui termine la pièce :

Le théâtre est un fief dont les rentes sont bonnes.

J’en accepte l’augure.

— Rencontré de Heredia chez Lemerre. Il a eu l’occasion de causer avec Porel qui, me dit-il, est rebelle à la forme versifiée du Fracasse. Diable, depuis quand ? — Il prétend que ton vers ne porte pas au théâtre.

— Où donc en a-t-il entendu puisqu’il n’était pas au Théâtre Libre, à la représentation de La Nuit Bergamasque, ma seule pièce en vers depuis mes débuts ? — Je ne sais pas, mais revêts ta cuirasse.

Sur les boulevards à la terrasse du Café Riche, j’avise Ranc et Paul Strauss en train de politiquer devant la « verte » démocratique. Ranc m’honore de sa sympathie, présent fort rare, un peu pour mes « Homme Masqué » du Voltaire, et surtout pour ma parenté d’alliance avec Théophile Gautier, car il est lui-même gautiériste ardent. Il me raconte que, en Suisse, pendant sa relégation, quand il y donnait des leçons pour vivre, il ne proposait que du Gautier à l’admiration de ses élèves. Je lui apprends que je