Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/126

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perceptible, les deux hypothèses impliquent. La plus ancienne, celle du système privilégié en état de repos absolu, aboutirait bien à poser des Temps multiples et réels. Pierre, réellement immobile, vivrait une certaine durée ; Paul, réellement en mouvement, vivrait une durée plus lente. Mais l’autre, celle de la réciprocité, implique que la durée plus lente doit être attribuée par Pierre à Paul ou par Paul à Pierre, selon que Pierre ou Paul est référant, selon que Paul ou Pierre est référé. Leurs situations sont identiques ; ils vivent un seul et même Temps, mais ils s’attribuent réciproquement un Temps différent de celui-là et ils expriment ainsi, selon les règles de la perspective, que la physique d’un observateur imaginaire en mouvement doit être la même que celle d’un observateur réel en repos. Donc, dans l’hypothèse de la réciprocité, on a au moins autant de raison que le sens commun de croire à un Temps unique : l’idée paradoxale de Temps multiples ne s’impose que dans l’hypothèse du système privilégié. Mais, encore une fois, on ne peut s’exprimer mathématiquement que dans l’hypothèse d’un système privilégié, même quand on a commencé par poser la réciprocité ; et le physicien, se sentant quitte envers l’hypothèse de la réciprocité une fois qu’il lui a rendu hommage en choisissant comme il le voulait son système de référence, l’abandonne au philosophe et s’exprimera désormais dans la langue du système