Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/145

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le suivre sur ce nouveau terrain, et à introduire dans leur définition de l’acte libre — non sans quelque danger peut-être — la prévision de ce qu’on pourrait faire et le souvenir de quelque autre parti pour lequel on aurait pu opter. Il convient donc de se placer à ce nouveau point de vue, et de chercher, abstraction faite des influences externes et des préjugés du langage, ce que la conscience toute pure nous apprend sur l’action future ou passée. Nous saisirons ainsi par un autre côté, et en tant qu’elles portent explicitement sur une certaine conception de la durée, l’erreur fondamentale du déterminisme et l’illusion de ses adversaires.

« Avoir conscience du libre arbitre, dit Stuart Mill, signifie avoir con­science, avant d’avoir choisi, d’avoir pu choisir autrement[1]. » C’est bien ainsi, en effet, que les défenseurs de la liberté l’entendent : et ils affirment que lorsque nous accomplissons une action librement, quelque autre action eût été également possible. Ils invoquent à cet égard le témoignage de la conscience, laquelle nous fait saisir, outre l’acte même, la puissance d’opter pour le parti contraire. Inversement, le déterminisme prétend que, certains antécédents étant posés, une seule action résultante était possible : « Quand nous suppo­sons, continue Stuart Mill, que nous aurions agi autrement que nous n’avons fait, nous supposons toujours une différence dans les antécédents. Nous feignons d’avoir connu quelque chose que nous n’avons pas connu, ou de n’avoir pas connu quelque chose que nous avons connu, etc.[2] » Et, fidèle à son principe, le philosophe anglais assigne pour rôle à la conscience de nous renseigner sur ce qui est, non sur ce qui pourrait être. — Nous n’insisterons pas, pour le moment, sur ce dernier point ; nous réservons la question

  1. Philos. de Hamilton, page 551.
  2. Ibid., p. 554.