Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/168

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suppose déjà un degré assez élevé de culture philosophique. On passera donc insensiblement du premier sens au second, et l’on se repré­sentera la relation causale comme une espèce de préformation du phénomène à venir dans ses conditions présentes. Or, cette préformation peut s’entendre dans deux sens très différents, et c’est précisément ici que l’équivoque commence.

Les mathématiques nous fournissent, en effet, l’image d’une préformation de ce genre. Le même mouvement par lequel on trace une circonférence dans un plan engendre toutes les propriétés de cette figure : en ce sens, un nombre indéfini de théorèmes préexistent au sein de la définition, bien que destinés à se dérouler dans la durée pour le mathématicien qui les déduira. Il est vrai que nous sommes ici dans le domaine de la quantité pure, et que, les propriétés géométriques pouvant se mettre sous forme d’égalités, on conçoit très bien qu’une première équation, exprimant la propriété fondamentale de la figure, se transforme en une multitude indéfinie d’équations nouvelles, toutes virtuelle­ment contenues dans celle-là. Au contraire, les phénomènes physiques qui se succèdent et sont perçus par nos sens se distinguent par la qualité non moins que par la quantité, de sorte qu’on aurait quelque peine à les déclarer d’abord équivalents les uns aux autres. Mais, précisément parce que nos sens les perçoivent, rien n’empêche d’attribuer leurs différences qualitatives à l’impres­sion qu’ils font sur nous, et de supposer, derrière l’hétérogénéité de nos sensations, un univers physique homogène. Bref, on dépouillera la matière des qualités concrètes dont nos sens la revêtent, couleur, chaleur, résistance, pesanteur même, et l’on se trouvera enfin en présence de l’étendue homogène, de l’espace sans corps. Il ne restera plus guère alors d’autre parti à prendre qu’à découper des figures dans l’espace, à les faire mouvoir selon des lois mathé­matiquement formulées, et à expliquer