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NATURE DE L’INSTINCT

ici d’explication[1]. Or l’instinct, lui aussi, est une connaissance à distance. Il est à l’intelligence ce que la vision est au toucher. La science ne pourra faire autrement que de le traduire en termes d’intelligence ; mais elle construira ainsi une imitation de l’instinct plutôt qu’elle ne pénétrera dans l’instinct même.

On s’en convaincra en étudiant ici les ingénieuses théories de la biologie évolutioniste. Elles se ramènent à deux types, qui interfèrent d’ailleurs souvent l’un avec l’autre. Tantôt, selon les principes du néo-darwinisme, on voit dans l’instinct une somme de différences accidentelles, conservées par la sélection : telle ou telle démarche utile, naturellement accomplie par l’individu en vertu d’une prédisposition accidentelle du germe, se serait transmise de germe à germe en attendant que le hasard vînt y ajouter, par le même procédé, de nouveaux perfectionnements. Tantôt en fait de l’instinct une intelligence dégradée : l’action jugée utile par l’espèce ou par quelques-uns de ses représentants aurait engendré une habitude, et l’habitude, héréditairement transmise, serait devenue instinct. De ces deux systèmes, le premier a l’avantage de pouvoir, sans soulever d’objection grave, parler de transmission héréditaire, car la modification accidentelle qu’il met à l’origine de l’instinct ne serait pas acquise par l’individu, mais inhérente au germe. En revanche, il est tout à fait incapable d’expliquer des instincts aussi savants que ceux de la plupart des Insectes. Sans doute, ces instincts n’ont pas dû atteindre tout d’un coup le degré de complexité qu’ils ont aujourd’hui ; ils ont évolué probablement. Mais, dans une hypothèse comme celle des néo-darwiniens, l’évolution de l’instinct ne pourrait se

  1. Matière et Mémoire, chap. I.