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MÉTHODE À SUIVRE

notre action, se donne par avance, toute faite, l’intelligence qu’elle prétendait engendrer.

La métaphysique se livre à un travail du même genre, mais plus subtil et plus conscient de lui-même, quand elle déduit a priori les catégories de la pensée. On presse l’intelligence, on la ramène à sa quintessence, on la fait tenir dans un principe si simple qu’on pourrait le croire vide : de ce principe on tire ensuite ce qu’on y a mis en puissance. Par là, on montre sans doute la cohérence de l’intelligence avec elle-même, on définit l’intelligence, on en donne la formule, mais on n’en retrace pas du tout la genèse. Une entreprise comme celle de Fichte, quoique plus philosophique que celle de Spencer, en ce qu’elle respecte davantage l’ordre véritable des choses, ne nous conduit guère plus loin qu’elle. Fichte prend la pensée à l’état de concentration et la dilate en réalité. Spencer part de la réalité extérieure et la recondense en intelligence. Mais, dans un cas comme dans l’autre, il faut qu’on commence par se donner l’intelligence, ou contractée ou épanouie, saisie en elle-même par une vision directe ou aperçue par réflexion dans la nature, comme dans un miroir.

L’entente de la plupart des philosophes sur ce point vient de ce qu’ils s’accordent à affirmer l’unité de la nature, et à se représenter cette unité sous une forme abstraite et géométrique. Entre l’organisé et l’inorganisé ils ne voient pas, ils ne veulent pas voir la coupure. Les uns partent de l’inorganique et prétendent, en le compliquant avec lui-même, reconstituer le vivant ; les autres posent d’abord la vie et s’acheminent vers la matière brute par un decrescendo habilement ménagé ; mais, pour les uns et pour les autres, il n’y a dans la nature que des différences de degré, — degrés de complexité dans la première hypothèse, degrés