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SPINOZA ET LEIBNIZ

songé, à les tenir pour des traductions, et non pas des inversions l’un de l’autre, enfin à donner pour substrat à leur dualité une identité fondamentale. La synthèse à laquelle on s’était élevé devenait ainsi capable de tout embrasser. Un divin mécanisme faisait correspondre, chacun à chacun, les phénomènes de la pensée à ceux de l’étendue, les qualités aux quantités et les âmes aux corps.

C’est ce parallélisme que nous trouvons et chez Leibniz et chez Spinoza, sous des formes différentes, il est vrai, à cause de l’inégale importance qu’ils attachent à l’étendue. Chez Spinoza, les deux termes Pensée et Étendue sont placés, en principe au moins, au même rang. Ce sont donc deux traductions d’un même original ou, comme dit Spinoza, deux attributs d’une même substance, qu’il faut appeler Dieu. Et ces deux traductions, comme aussi une infinité d’autres dans des langues que nous ne connaissons pas, sont appelées et même exigées par l’original, de même que l’essence du cercle se traduit automatiquement, pour ainsi dire, et par une figure et par une équation. Au contraire, pour Leibniz, l’étendue est bien encore une traduction, mais c’est la pensée qui est l’original, et celle-ci pourrait se passer de traduction, la traduction n’étant faite que pour nous. En posant Dieu, on pose nécessairement aussi toutes les vues possibles sur Dieu, c’est-à-dire les monades. Mais nous pouvons toujours imaginer qu’une vue ait été prise d’un point de vue, et il est naturel à un esprit imparfait comme le nôtre de classer des vues, qualitativement différentes, d’après l’ordre et la position de points de vue, qualitativement identiques, d’où les vues auraient été prises. En réalité les points de vue n’existent pas, car il n’y a que des vues, chacune donnée en un bloc indivisible et représentant, à sa manière, le tout de la réalité, qui est Dieu. Mais nous avons besoin de