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BIOLOGIE ET PHYSICO-CHIMIE

génétique de l’ovule fécondé s’affaiblit à mesure qu’il se répartit sur la masse grandissante des tissus de l’embryon ; mais, pendant qu’il se dilue ainsi, il concentre à nouveau quelque chose de lui-même sur un certain point spécial, sur les cellules d’où naîtront les ovules ou les spermatozoïdes. On pourrait donc dire que, si le plasma germinatif n’est pas continu, il y a du moins continuité d’énergie génétique, cette énergie ne se dépensant que quelques instants, juste le temps de donner l’impulsion à la vie embryonnaire, et se ressaisissant le plus tôt possible dans de nouveaux éléments sexuels où, encore une fois, elle attendra son heure. Envisagée de ce point de vue, la vie apparaît comme un courant qui va d’un germe à un germe par l’intermédiaire d’un organisme développé. Tout se passe comme si l’organisme lui-même n’était qu’une excroissance, un bourgeon que fait saillir le germe ancien travaillant à se continuer en un germe nouveau. L’essentiel est la continuité de progrès qui se poursuit indéfiniment, progrès invisible sur lequel chaque organisme visible chevauche pendant le court intervalle de temps qu’il lui est donné de vivre.

Or, plus on fixe son attention sur cette continuité de la vie, plus on voit l’évolution organique se rapprocher de celle d’une conscience, où le passé presse contre le présent et en fait jaillir une forme nouvelle, incommensurable avec ses antécédents. Que l’apparition d’une espèce végétale ou animale soit due à des causes précises, nul ne le contestera. Mais il faut entendre par là que, si l’on connaissait après coup le détail de ces causes, on arriverait à expliquer par elles la forme qui s’est produite : de la prévoir il ne saurait être question[1]. Dira-t-on qu’on pourrait la pré-

  1. L’irréversibilité de la série des êtres vivants a été bien mise en lumière par Baldwin (Development and evolution, New-York, 1902, en particulier p. 327).