des nuances d’émotion et de pensée nous apparaissent qui, sans doute, étaient représentées en nous depuis longtemps, mais qui demeuraient invisibles : telle, l’image photographique qui n’a pas encore été plongée dans le bain où elle se révélera. Le poète est ce révélateur. Mais nulle part la fonction de l’artiste n’est aussi apparente que dans celui des arts qui serre de plus près la réalité matérielle, je veux dire la peinture. Les grands peintres sont des hommes auxquels remonte une certaine vision des choses qui est devenue ou qui deviendra la vision de tous les hommes. Un Corot, un Turner, pour ne citer que ceux-là, ont aperçu dans la nature une foule d’aspects que nous ne remarquions pas. — Dira-t-on qu’ils n’ont pas vu, mais créé, qu’ils nous ont livré des produits de leur imagination, que nous adoptons leurs inventions parce qu’elles nous plaisent, et que nous nous amusons simplement à regarder la nature à travers l’image que les grands peintres nous en ont tracée ? — Mais, s’il en était ainsi, pourquoi dirions-nous de certaines œuvres — celles des maîtres — qu’elles sont vraies ? où serait la différence entre le grand art et la pure fantaisie ? Approfondissons ce que nous éprouvons devant un Turner ou un Corot : nous trouverons que, si nous les acceptons et les admirons, c’est que nous avions déjà perçu ce qu’ils nous montrent. Oui, nous l’avions perçu, comme nous avons perçu tout ce que les peintres nous ont montré et nous montreront jamais ; mais nous avions perçu sans apercevoir. C’était, pour nous, une vision brillante et évanouissante, perdue dans la foule de ces visions également brillantes, également évanouissantes, qui, semblables à des « dissolving views », se recouvrent dans notre expérience usuelle et constituent, par leur interférence réciproque, la vision pâle et décolorée que nous avons habituelle-
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LA PERCEPTION DU CHANGEMENT