vons tirer. Par avance elle les classe, par avance elle les étiquette ; nous regardons à peine l’objet, il nous suffit de savoir à quelle catégorie il appartient. Mais, de loin en loin, par un accident heureux, naissent des hommes qui, soit par leurs sens soit par leur conscience, sont moins attachés à la vie. La nature a oublié d’attacher leur faculté de percevoir à leur faculté d’agir. Quand ils regardent une chose, ils la voient pour elle, et non plus pour eux. Ils ne perçoivent plus simplement en vue d’agir ; ils perçoivent pour percevoir, — pour rien, pour le plaisir. Par un certain côté d’eux-mêmes, soit par la conscience soit par un de leurs sens, ils naissent détachés ; et, selon que ce détachement est inhérent à tel ou tel de leurs sens ou à leur conscience, ils sont peintres ou sculpteurs, musiciens ou poètes. C’est donc bien une vision plus directe, plus immédiate de la réalité, que nous trouvons dans les différents arts ; et c’est parce que l’artiste songe moins à utiliser sa perception qu’il perçoit un plus grand nombre de choses.
Eh bien, ce que la nature fait de loin en loin, par distraction, pour quelques privilégiés, la philosophie ne pourrait-elle pas le faire, dans un autre sens et d’une autre manière, pour tout le monde ? Le rôle de la philosophie ne serait-il pas de nous amener à une perception plus complète de la réalité par un certain déplacement de notre attention ? Il s’agirait de détourner notre attention du côté pratiquement intéressant de l’univers, pour la retourner vers ce qui, pratiquement, ne sert à rien. Et cette conversion de l’attention serait la philosophie même.
Au premier abord, il semble que cela ait déjà été fait. Plus d’un philosophe a dit, en effet, que philosopher consistait à se détourner de la vie pratique, et que