Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/262

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successif de deux méthodes très différentes. La première consisterait à intensifier si bien le travail intellectuel, à porter l’intelligence si loin au delà de ce que la nature avait voulu pour elle, que le simple outil cédât la place à un immense système de machines capable de libérer l’activité humaine, cette libération étant d’ailleurs consolidée par une organisation politique et sociale qui assurât au machinisme sa véritable destination. Moyen dangereux, car la mécanique, en se développant, pourra se retourner contre la mystique : même, c’est en réaction apparente contre celle-ci que la mécanique se développera le plus complètement. Mais il y a des risques qu’il faut courir : une activité d’ordre supérieur, qui a besoin d’une activité plus basse, devra la susciter ou en tout cas la laisser faire, quitte à se défendre s’il en est besoin ; l’expérience montre que si, de deux tendances contraires mais complémentaires, l’une a grandi au point de vouloir prendre toute la place, l’autre s’en trouvera bien pour peu qu’elle ait su se conserver: son tour reviendra, et elle bénéficiera alors de tout ce qui a été fait sans elle, qui n’a même été mené vigoureusement que contre elle. Quoi qu’il en soit, ce moyen ne pouvait être utilisé que beaucoup plus tard, et il y avait, en attendant, une tout autre méthode à suivre. C’était de ne pas rêver pour l’élan mystique une propagation générale immédiate, évidemment impossible, mais de le communiquer, encore que déjà affaibli, à un petit nombre de privilégiés qui formeraient ensemble une société spirituelle ; les sociétés de ce genre pourraient essaimer ; chacune d’elles, par ceux de ses membres qui seraient exceptionnellement doués, donnerait naissance à une ou plusieurs autres ; ainsi se conserverait, ainsi se continuerait l’élan jusqu’au jour où un changement profond des conditions matérielles