Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/204

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

individuels en choses toutes faites, données telles quelles au cours de notre vie mentale, l’associationnisme est réduit à supposer entre ces objets des attrac­tions mystérieuses, dont on ne saurait même pas dire à l’avance, comme de l’attraction physique, par quels phénomènes elles se manifesteront. Pour­quoi une image qui, par hypothèse, se suffit à elle-même, viserait-elle en effet à s’en agréger d’autres, ou semblables, ou données en contiguïté avec elle ? Mais la vérité est que cette image indépendante est un produit artificiel et tardif de l’esprit. En fait, nous percevons les ressemblances avant les individus qui se ressemblent, et, dans un agrégat de parties contiguës, le tout avant les parties. Nous allons de la ressemblance aux objets ressemblants, en brodant sur la ressemblance, ce canevas commun, la variété des différences individuelles. Et nous allons aussi du tout aux parties, par un travail de décomposition dont on verra plus loin la loi, et qui consiste à morceler, pour la plus grande commodité de la vie pratique, la continuité du réel. L’association n’est donc pas le fait primitif ; c’est par une dissociation que nous débutons, et la tendance de tout souvenir à s’en agréger d’autres s’explique par un retour naturel de l’esprit à l’unité indivisée de la perception.

Mais nous découvrons ici le vice radical de l’associationnisme. Étant donnée une perception présente qui forme tour à tour, avec des souvenirs divers, plusieurs associations successives, il y a deux manières, disions-nous, de concevoir le mécanisme de cette association. On peut supposer que la perception reste identique à elle-même, véritable atome psychologique qui s’en agrège d’autres au fur et à mesure que ces derniers passent à côté de lui. Tel est le point de vue de l’associationnisme.