Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/223

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D'autre part, la même observation psychologique qui nous a révélé la distinction de la matière et de l’esprit nous fait assister à leur union. Ou bien donc nos analyses sont entachées d’un vice originel, ou elles doivent nous aider à sortir des difficultés qu’elles soulèvent.

L’obscurité du problème, dans toutes les doctrines, tient à la double anti­thèse que notre entendement établit entre l’étendu et l’inétendu d’une part, la qualité et la quantité de l’autre. Il est incontestable que l’esprit s’oppose d’abord à la matière comme une unité pure à une multiplicité essentiellement divisible, que de plus nos perceptions se composent de qualités hétérogènes alors que l’univers perçu semble devoir se résoudre en changements homo­gènes et calculables. Il y aurait donc l’inextension et la qualité d’un côté, l’étendue et la quantité de l’autre. Nous avons répudié le matérialisme, qui prétend faire dériver le premier terme du second ; mais nous n’acceptons pas davantage l’idéalisme, qui veut que le second soit simplement une construc­tion du premier. Nous soutenons contre le matérialisme que la perception dépasse infiniment l’état cérébral ; mais nous avons essayé d’établir contre l’idéalisme que la matière déborde de tous côtés la représentation que nous avons d’elle, représentation que l’esprit y a pour ainsi dire cueillie par un choix intelligent. De ces deux doctrines opposées, l’une attribue au corps et l’autre à l’esprit un don de création véritable, la première voulant que notre cerveau engendre la représentation et la seconde que notre entendement dessine le plan de la nature. Et contre ces deux doctrines nous invoquons le même témoi­gnage, celui de la conscience, laquelle nous montre dans notre corps une image comme les autres, et dans notre entendement