Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/224

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une certaine faculté de dissocier, de distinguer et d’opposer logiquement, mais non pas de créer ou de construire. Ainsi, prisonniers volontaires de l’analyse psychologique et par conséquent du sens commun, il semble qu’après avoir exaspéré les conflits que le dualisme vulgaire soulève, nous ayons fermé toutes les issues que la métaphysique pouvait nous ouvrir.

Mais justement parce que nous avons poussé le dualisme à l’extrême, notre analyse en a peut-être dissocié les éléments contradictoires. La théorie de la perception pure d’un côté, de la mémoire pure de l’autre, préparerait alors les voies à un rapprochement entre l’inétendu et l’étendu, entre la qualité et la quantité.

Considère-t-on la perception pure ? En faisant de l’état cérébral le com­mencement d’une action et non pas la condition d’une perception, nous rejetions les images perçues des choses en dehors de l’image de notre corps ; nous replacions donc la perception dans les choses mêmes. Mais alors, notre perception faisant partie des choses, les choses participent de la nature de notre perception. L’étendue matérielle n’est plus, ne peut plus être cette éten­due multiple dont parle le géomètre ; elle ressemble bien plutôt à l’extension indivisée de notre représentation. C’est dire que l’analyse de la perception pure nous a laissé entrevoir dans l’idée d’extension un rapprochement possible entre l’étendu et l’inétendu.

Mais notre conception de la mémoire pure devrait conduire, par une voie parallèle, à atténuer la seconde opposition, celle de la qualité et de la quantité. Nous avons séparé radicalement, en effet, le pur souvenir de l’état cérébral qui le continue et le rend efficace. La mémoire n’est donc à aucun degré une éma­nation