Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/247

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je ne sais quoi qui s’en détache et en diffère. Mais puisqu’une théorie de la matière se propose justement de retrouver la réalité sous ces images usuelles, toutes relatives à nos besoins, c’est de ces images qu’elle doit s’abstraire d’abord. Et, de fait, nous voyons force et matière se rapprocher et se rejoindre à mesure que le physicien en approfondit les effets. Nous voyons la force se matérialiser, l’atome s’idéaliser, ces deux termes converger vers une limite commune, l’univers retrouver ainsi sa continuité. On parlera encore d’atomes ; l’atome conservera même son individualité pour notre esprit qui l’isole ; mais la solidité et l’inertie de l’atome se dissoudront soit en mouvements, soit en lignes de force, dont la solidarité réciproque rétablira la continuité universelle. À cette conclusion devaient nécessairement aboutir, quoique partis de points tout différents, les deux physiciens du XIXe siècle qui ont pénétré le plus avant dans la constitution de la matière, Thomson et Faraday. Pour Faraday, l’atome est un « centre de forces » . Il entend par là que l’individualité de l’atome consiste dans le point mathématique où se croisent les lignes de force, indéfinies, rayonnant à travers l’espace, qui le constituent réellement : chaque atome occupe ainsi, pour employer ses expressions, « l’espace tout entier auquel la gravitation s’étend », et « tous les atomes se pénètrent les uns les autres[1] » . Thomson, se plaçant dans un tout autre ordre d’idées, suppose un fluide parfait, continu, homogène et incompressible, qui remplirait l’espace : ce que nous appelons atome serait un anneau de forme invariable tourbillonnant dans cette continuité, et qui devrait ses propriétés à sa forme, son existence

  1. FARADAY, A speculation concerning electric conduction (Philos. magazine, 3e série, vol. XXIV).