Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/249

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IV. — Le mouvement réel est plutôt le transport d’un état que d’une chose.

En formulant ces quatre propositions, nous n’avons fait, en réalité, que resserrer progressivement l’intervalle entre deux termes qu’on oppose l’un à l’autre, les qualités ou sensations, et les mouvements. À première vue, la dis­tance paraît infranchissable. Les qualités sont hétérogènes entre elles, les mouvements homogènes. Les sensations, indivisibles par essence, échappent à la mesure ; les mouvements, toujours divisibles, se distinguent par des diffé­rences calculables de direction et de vitesse. On se plaît à mettre les qualités, sous forme de sensations, dans la conscience, tandis que les mouvements s’exécutent indépendamment de nous dans l’espace. Ces mouvements, se com­posant entre eux, ne donneraient jamais que des mouvements ; par un proces­sus mystérieux, notre conscience, incapable de les toucher, les traduirait en sensations qui se projetteraient ensuite dans l’espace et viendraient recouvrir, on ne sait comment, les mouvements qu’elles traduisent. De là deux mondes différents, incapables de communiquer autrement que par un miracle, d’un côté celui des mouvements dans l’espace, de l’autre la conscience avec les sensations. Et, certes, la différence reste irréductible, comme nous l’avons montré nous-même autrefois, entre la qualité, d’une part, et la quantité pure de l’autre. Mais la question est justement de savoir si les mouvements réels ne présentent entre eux que des différences de quantité, ou s’ils ne seraient pas la qualité même, vibrant pour ainsi dire intérieurement et scandant sa propre existence en un nombre souvent incalculable de moments. Le mouvement que la mécanique étudie n’est qu’une abstraction ou un symbole, une commune