Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/72

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

action. Là serait la source de l’affection. On pourrait donc dire, par métaphore, que si la perception mesure le pouvoir réflecteur du corps, l’affection en mesure le pouvoir absorbant.

Mais ce n’est là qu’une métaphore. Il faut voir de plus près les choses, et bien comprendre que la nécessité de l’affection découle de l’existence de la perception elle-même. La perception, entendue comme nous l’entendons, mesure notre action possible sur les choses et par là, inversement, l’action possible des choses sur nous. Plus grande est la puissance d’agir du corps (symbolisée par une complication supérieure du système nerveux), plus vaste est le champ que la perception embrasse. La distance qui sépare notre corps d’un objet perçu mesure donc véritablement la plus ou moins grande immi­nence d’un danger, la plus ou moins prochaine échéance d’une promesse. Et par suite, notre perception d’un objet distinct de notre corps, séparé de notre corps par un intervalle, n’exprime jamais qu’une action virtuelle. Mais plus la distance décroît entre cet objet et notre corps, plus, en d’autres termes, le danger devient urgent ou la promesse immédiate, plus l’action virtuelle tend à se transformer en action réelle. Passez maintenant à la limite, supposez que la distance devienne nulle, c’est-à-dire que l’objet à percevoir coïncide avec notre corps, c’est-à-dire enfin que notre propre corps soit l’objet à percevoir. Alors ce n’est plus une action virtuelle, mais une action réelle que cette perception toute spéciale exprimera : l’affection consiste en cela même. Nos sensations sont donc à nos perceptions ce que l’action réelle de notre corps est à son action possible ou virtuelle. Son action virtuelle concerne les autres objets et se dessine dans ces