Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/172

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huit. Pourquoi celle-ci, sans perdre de sa gravité, joint-elle à une espèce d’agitation tragique un rhythme fortement marqué et une instrumentation éclatante ? Je penche fort à croire que certaines cérémonies religieuses de l’antiquité étant accompagnées, dit-on, de saltations ou danses symboliques, Gluck, préoccupé de cette idée, aura voulu donner à sa musique un caractère en rapport avec cet usage présumé. L’impression produite à la représentation par ce chœur semble prouver que malgré l’ignorance où sont les plus habiles chorégraphes sur le rituel des anciens sacrifices, son sens poétique n’a pas abusé le compositeur en le guidant dans cette voie.

Le récitatif obligé du grand-prêtre : « Apollon est sensible à nos gémissements, » est évidemment la plus ingénieuse et la plus étonnante application de cette partie du système de l’auteur, qui consiste à n’employer les masses instrumentales qu’en proportion du degré d’intérêt et de passion. Ici les instruments à cordes débutent seuls par un unisson dont le dessin se reproduit jusqu’à la fin de la scène avec une énergie croissante. Au moment où l’exaltation prophétique du prêtre commence à se manifester : « Tout m’annonce du dieu la présence suprême, » les seconds violons et les altos entament un tremulando arpégé, qui, s’il est bien exécuté en écrasant les cordes près du chevalet, produit un effet semblable au bruit d’une cataracte, et sur lequel tombe de temps en temps un coup violent des basses et des premiers violons. Les flûtes, les hautbois et les clarinettes n’entrent que successivement dans les intervalles des exclamations du pontife inspiré ; les cors et les trombones se taisent toujours. Mais à ces mots :

xxLe saint trépied s’agite,
Tout se remplit d’un juste effroi !


la masse de cuivre vomit sa bordée si longtemps contenue, les flûtes et les hautbois font entendre leurs cris féminins ; le frémissement des violons redouble, la marche terrible des basses