Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/16

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


C’est que la mort est une fée mystérieuse dont la baguette a déjà accompli bien des prodiges. Telle marâtre insupportable, tel prince tyrannique, tel parent qui nous embarrassait, tel ami qui nous avait pris une place, nous apparaissent, dès qu’ils sont couchés dans la tombe, comme des modèles de vertus. Nous jetons des roses sur ces fosses encore béantes, nous avons soin de planter un bel arbre sur la terre fraîchement remuée, comme pour sceller le cachot et pour être assurés que le cadavre ne ressuscitera pas ; ces précautions prises, rien ne nous empêche de chanter les louanges de ceux qui ne sont plus. Non-seulement ils ne nous gênent guère, mais, par-dessus le marché, ils nous servent contre les vivants. Quoi de plus naturel que d’écraser Mozart sous la réputation de Haydn ! quoi de plus juste que de jeter à la tête de Rossini le Barbier de Paisiello ?

Berlioz, en vie, avait tous les inconvénients de son état de vivant ; quoique, par ses maladies fréquentes, il donnât beaucoup d’espérances aux gens qui attendaient qu’il disparût, il n’en occupait pas moins un rang dans la presse, un fauteuil à l’Institut, une loge au théâtre, un espace quelconque d’air respirable ; je ne parle pas de son prestige musical ; certains critiques croyaient l’avoir détruit à tout jamais, ou s’imaginaient qu’ils le croyaient ; car, au fond, ils n’en étaient pas bien sûrs.

Il existait donc d’excellentes raisons pour que Berlioz fût attaqué, discuté, calomnié par ses concurrents, qui, ayant du talent, ne lui pardonnaient pas d’avoir du génie, et par ceux, beaucoup plus nombreux, qui, ne possédant ni génie ni talent, se ruaient indifféremment à l’assaut de toute réputation sérieuse, sans espoir d’en tirer avantage pour eux-mêmes et uniquement pour le plaisir de briser. Couvert de lauriers à l’étranger, Berlioz s’irritait de trouver