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Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/344

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CXLII.

À LA MÊME.


3 septembre 1866.

Ah ! mon Dieu, quel malheur ! Ce matin, chère madame Massart, oui, pas plus tard que ce matin, je me suis mis à vous penser une lettre charmante, pleine d’esprit, de gracieux compliments, et d’une flatterie si fine, si ingénieuse, si adroite, que vous eussiez cru tout ce que je vous disais ; je vous parlais de votre exquise bonté, de votre grâce, de votre talent, de l’affection que vous inspirez à tous ceux qui vous connaissent, des jalousies que vous excitez, de mille choses, enfin, et de vingt autres encore. Et voilà que j’ai eu le malheur de m’endormir, et qu’au réveil, je n’ai plus retrouvé le moindre souvenir de ma lettre et que me voilà obligé de vous écrire des banalités. Il y a des gens, je le sais, à qui ces choses-là sont justement les plus agréables ; mais je ne crois pas que vous apparteniez à cette espèce de melons. Ainsi, résignez-vous. Je ne parlerai pourtant pas de l’immense ennui qui vous dévore dans votre petit étui de carton, d’où l’on voit la mer, dit-on. Je craindrais de vous pousser au suicide ; et ce genre de désennui est extrêmement inconvenant pour une jolie femme. Mais que pouvez-vous faire pourtant ? Vous avez fait le tour de Beethoven depuis si longtemps ; cette année, vous avez lu Homère ; vous connaissez trois ou quatre grands chefs-d’œuvre de Shakspeare ; vous voyez la mer tous les jours ;