Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/60

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la générosité de quelques amis, il put aller moissonner des roubles, en Russie, et s’acquitter enfin envers les personnes qui l’avaient aidé dans l’infortune. « Vous gagnerez là-bas cent cinquante mille francs ! » lui avait dit Balzac. — On sait qu’en imagination l’auteur de la Comédie humaine remuait les millions à la pelle ; Berlioz ne gagna pas la somme annoncée, mais il rapporta de quoi faire honneur à ses engagements. À ce moment-là, la direction de l’Opéra de Paris était sur le point de devenir vacante ; le directeur, M. Léon Pillet, parlait de se retirer, et sa succession était briguée par MM. Duponchel et Roqueplan, qui, malgré leur zèle, malgré leurs démarches, n’avaient pas obtenu l’appui du ministère de l’intérieur. Ces messieurs recommandèrent leur candidature à Berlioz ; ils furent nommés, par l’influence du Journal des Débats. Avant cette nomination, les solliciteurs, comme on pense, étaient tout feu, tout flammes ; ils comptaient reprendre Benvenuto Cellini, jouer la Nonne sanglante, confier à l’homme auquel ils devaient leur titre de directeurs un poste important ; une fois le décret ministériel signé, ces belles résolutions s’évanouirent comme par enchantement. Les relations devinrent de plus en plus froides entre MM. Duponchel, Roqueplan, et leur ancien ami ; celui-ci, comprenant qu’ils étaient gênés avec lui, qu’on le prenait pour un malfaiteur auquel il ne fallait pas ouvrir les portes de l’Académie de musique, écrivit à ses obligés qu’il les dégageait de toute reconnaissance à son égard et qu’il était engagé par l’impresario Jullien pour conduire l’orchestre du théâtre de Drury-Lane, à Londres. Cette détermination terminait la crise ; enchantés d’être débarrassés d’un importun qu’ils ne voulaient ni accueillir ni mécontenter, MM. Roqueplan et Duponchel feignirent l’étonnement en public, mais, en particulier, ils ne dissimulèrent pas leur joie.