Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/90

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fiché au bout d’un bâton qu’on avait attaché à la poupe, et que l’oscillation du navire rendait très difficile à atteindre. Tel était notre passe temps. Mes compagnons de voyage étaient des militaires italiens, accourant à Modène prendre part à la révolution qui venait d’y éclater. Arrivés dans la rivière de Gênes, un vent furieux des Alpes nous a assaillis tout à coup ; les vagues entraient par les écoutilles et couvraient le pont à tout instant. Bon ! disais-je, cela manquait, il serait bien dommage que je n’eusse pas aussi mon petit bout de tempête ; ce sera charmant !… Mais le charme est devenu un peu fort, comme vous allez voir.

Le capitaine, voulant regagner le temps perdu, avait laissé toutes les voiles étendues, et le vaisseau, pris en flanc par le vent, penchait horriblement sur le côté. Le soir, comme j’étais dans la chambre, à essayer de dormir, j’entends la voix d’un de nos passagers qui criait aux matelots : Coraggio, corpo di Dio ! sara niente. « Diable, dis-je, il paraît au contraire que c’est beaucoup. » Je m’enveloppe alors dans mon manteau, et je monte sur le pont, suivi de quatre officiers épouvantés de ce que nous venions d’entendre.

J’avoue qu’il est difficile de s’imaginer un pareil spectacle et que, malgré le peu de cas que je faisais alors de la vie, le cœur commença à me battre d’une terrible manière. Figurez-vous le vent rugissant avec une furie dont on ne peut avoir d’idée à terre, les vagues enlevées de la mer, lancées en l’air, d’où elles retombaient en poussière, le vaisseau tellement penché que son bord droit était en entier dans l’eau, et, avec cela, quatorze voiles immenses étendues, où le vent s’engouffrait de plein vol. Le passager que nous avions entendu crier tout à l’heure était un capitaine-corsaire