Page:Berlioz - Les Grotesques de la musique, 1859.djvu/63

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de simples réflexions antiphilosophiques sur les institutions humaines, que je vous donne pour ce qu’elles valent, c’est-à-dire pour rien.

Or nous étions sept dans la loge officielle de la salle du Conservatoire, et chaque jour une fournée de quatre-vingt-dix pianos au moins faisaient gémir sous son poids le plancher du théâtre en face de nous. Trois habiles professeurs jouaient chacun un morceau différent sur le même instrument, en répétant chacun toujours le même ; nous entendions ainsi quatre-vingt-dix fois par jour ces trois airs, ou, en additionnant, deux cent soixante-dix airs de piano, de huit heures du matin à quatre heures de l’après-midi. Il y avait des intermittences dans notre état. À certains moments, une sorte de somnolence remplaçait la douleur, et comme, après tout, sur ces trois morceaux il s’en trouvait deux de fort beaux, l’un de Pergolèse et l’autre de Rossini, nous les écoutions alors avec charme ; ils nous plongeaient dans une douce rêverie. Bientôt après, il fallait payer son tribut à la faiblesse humaine ; on se sentait pris de spasmes d’estomac et de véritables nausées. Mais ce n’est pas ici le cas d’examiner ce phénomène physiologique.

Pour n’être en aucune façon influencés par les noms des facteurs des terribles pianos, nous avions eu l’idée d’étudier ces instruments, sans savoir à qui ni de qui ils étaient. On avait en conséquence caché le nom des facteurs par une large plaque de carton portant un numéro. Les essayeurs pianistes, avant de