Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/126

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explorateurs du nouvel Eldorado. Erreur. Le but était, au contraire, plus artiste encore que philanthropique et commercial. Ces centaines de lieues de voie ferrée furent votées par les États afin de permettre aux pionniers errants parmi les montagnes Rocheuses et sur les bords du Sacramento, de venir entendre Jenny Lind, sans employer trop de leur temps à ce pélerinage indispensable. Mais, par suite de quelque odieuse cabale, les travaux, loin d’être finis, étaient à peine commencés quand elle est arrivée. L’incurie du gouvernement américain est inqualifiable, et l’on conçoit qu’elle, si humaine et si bonne, ait pu s’en plaindre amèrement. Il en résulte que ces pauvres chercheurs d’or de tout âge et de tout sexe, déjà épuisés par leur rude labeur, ont été obligés de faire à pied, à dos de mulet, et avec des souffrances inouïes, cette longue et dangereuse traversée continentale. Les placers ont été abandonnés, les fouilles sont restées béantes, les constructions de San-Francisco inachevées, et Dieu sait quand les travaux auront été repris. Ceci peut amener dans le commerce du monde entier les plus terribles perturbations… — « Ah çà ! dit Bacon, vous prétendez nous faire croire… ? — Non, je m’arrête ; vous seriez en droit de penser que je fais ici une réclame rétroactive pour M. Barnum, quand, dans la simplicité de mon cœur, je me borne à traduire en vile prose les poétiques rumeurs qui nous sont venues de la trop heureuse Amérique. — Pourquoi dites-vous réclame rétroactive ? M. Barnum ne fonctionne-t-il pas toujours ? — Je ne saurais vous l’assurer, bien que l’inaction d’un tel homme soit chose peu probable : mais il ne fait plus mousser Jenny Lind. Ignorez-vous donc que l’admirable virtuose (je parle sérieusement cette fois), lasse sans doute d’être forcément mêlée aux exploits excentriques des Romains qui l’exploitaient, s’est brusquement retirée du monde pour se marier, et vit heureuse hors des atteintes de la réclame ! Elle vient d’épouser à Boston M. Goldschmidt, jeune pianiste compositeur de Hambourg, que nous avons applaudi à Paris il y a quelques années. Mariage artiste qui a valu à la diva ce bel éloge d’un grammairien français de Philadelphie : « Elle a vu à ses pieds des princes et des archevêques, et n’a pas voulu l’être. » C’est