Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/215

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Vous ne m’en compterez pas moins, je l’espère, parmi les plus sincères admirateurs de Schiller ; mais il faut vous avouer mon insurmontable antipathie pour les drames dans lesquels figurent le billot, la hache, le bourreau. Je n’y puis tenir. Ce genre de mort et les apprêts qu’il nécessite ont quelque chose de si hideux ! Rien ne m’a jamais inspiré une plus profonde aversion pour la foule, pour la populace de tout rang et de toute classe, que l’horrible ardeur avec laquelle on la voit se ruer à certains jours vers le lieu des exécutions. En me représentant cette multitude pressée, la gueule béante autour d’un échafaud, je songe toujours au bonheur d’avoir sous la main huit ou dix pièces de canon chargées à mitraille, pour anéantir d’un seul coup cette affreuse canaille sans avoir besoin d’y toucher. Car je conçois qu’on verse le sang de cette façon, de loin, avec fracas, avec feux et tonnerres, quand on est en colère ; et j’aimerais mieux mitrailler quarante de mes ennemis que d’en voir guillotiner un seul. — Corsino, approuvant de la tête : Vous avez des goûts d’artiste. — Quant à cette pauvre charmante reine Marie, dit Winter, je conviens qu’on pouvait fort bien la détruire, sans aller ainsi gâter son beau col. — Eh ! eh ! réplique Dimski, c’était peut-être précisément à ce beau col qu’en voulait Élisabeth. Au reste, détruire est heureusement trouvé ; j’approuve le mot. — Oh ! messieurs ! pouvez-vous rire et plaisanter d’une telle catastrophe, d’un crime si affreux ! — Moran a raison, reprend Corsino ; puisque ces messieurs sont d’humeur joyeuse ce soir, conte-leur quelque bonne bêtise, Schmidt, tu ne nous as rien donné en ce genre depuis longtemps, tu dois être en fonds. »

Schmidt, le troisième cor, a une figure grotesque qui provoque le rire. Il passe pour avoir de l’esprit, et sa taciturnité habituelle donne plus de prix qu’elles n’en ont réellement à ses saillies, qu’il mime d’ailleurs en bouffon de premier ordre.

Schmidt donc, accueillant cette invitation, se mouche, prend une énorme pincée de tabac, et, sans préambule, élevant sa voix grêle, dit :