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première soirée.

cœur de se calmer ou de se briser ; que lui importe ! Il s’oppose, enfin, à la représentation de Francesca ; l’ordre est donné aux artistes romains et milanais de retourner chez eux ; mon drame ne sera pas mis en scène ; le grand-duc n’en veut plus ; il a changé d’idée… La foule qui se pressait déjà à Florence, attirée moins encore par l’appareil des noces que par l’intérêt de curiosité que la fête musicale annoncée excitait dans toute l’Italie, cette foule avide de sensations nouvelles, trompée dans son attente, s’enquiert bientôt du motif qui la prive ainsi brutalement du spectacle qu’elle était venue chercher, et ne pouvant le découvrir, n’hésite pas à l’attribuer à l’incapacité du compositeur. Chacun dit : « Ce fameux drame était absurde, sans doute ; le grand-duc, informé à temps de la vérité, n’aura pas voulu que l’impuissante tentative d’un artiste ambitieux vint jeter du ridicule sur la solennité qui se prépare. Ce ne peut être autre chose. Un prince ne manque pas ainsi à sa parole. Della Viola est toujours le même vaniteux extravagant que nous connaissions ; son ouvrage n’était pas présentable, et, par égard pour lui, on s’abstient de l’avouer. » Ô Cellini ! ô mon noble et fier et digne ami ! réfléchis un instant, et d’après toi-même juge de ce que j’ai dû éprouver à cet incroyable abus de pouvoir, à cette violation inouïe des promesses les plus formelles, à cet horrible affront qu’il était impossible de redouter, à cette calomnie insolente d’une production que personne au monde, excepté moi, ne connaît encore.

Que faire ? que dire à cette tourbe de lâches imbéciles qui rient en me voyant ? que répondre aux questions de mes partisans ? à qui m’en prendre ? quel est l’auteur de cette machination diabolique ? et comment en avoir raison ? Cellini ! Cellini ! pourquoi es-tu en France ? que ne puis-je te voir, te demander conseil, aide et assistance ? Par Bacchus, ils me rendront réellement fou… Lâcheté ! honte ! je viens de sentir des larmes dans mes yeux. Arrière toute faiblesse ! c’est la force, l’attention et le sang-froid qui me sont indispensables, au contraire, car je veux me venger, Benvenuto, je le veux. Quand et comment, il n’importe ; mais je me vengerai, je te le jure, et tu seras