Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/298

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coloris antique, l’accent solennel, la mélodie et l’accompagnement si dignement désolés rappellent les sublimités d’Homère, la simple grandeur des âges héroïques, et remplissent le cœur de cette insondable tristesse que fait toujours naître l’évocation d’un illustre passé, Corsino pâlissant, cesse de jouer. Il appuie ses coudes sur ses genoux et cache sa figure entre ses deux mains, comme abîmé dans un sentiment inexprimable. Peu à peu je vois sa respiration devenir plus pressée, le sang affluer à ses tempes qui rougissent, et à l’entrée du chœur des femmes avec ces mots : « Mêlons nos cris plaintifs à ses gémissements ! » au moment où cette longue clameur des prêtresses s’unit à la voix de la royale orpheline et retentit au milieu du conflit des sons déchirants de l’orchestre, deux ruisseaux de larmes jaillissent violemment de ses yeux, il éclate en sanglots tels que je me vois forcé de l’emmener hors de la salle.

Nous sortons…… je le reconduis chez lui..... Assis tous les deux dans sa modeste chambre qu’éclaire la lune seulement, nous restons longtemps immobiles… Corsino lève un instant les yeux sur le buste de Gluck placé sur son piano… Nous nous regardons..... la lune disparaît..... Il soupire avec effort..... se jette sur son lit..... Je pars..... nous n’avons pas dit un mot....