Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/444

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d’autres, et depuis ce moment il n’en a plus été question.

J’étais à Londres depuis quelques semaines quand je songeai à mettre encore une fois au pied du mur, mes deux directeurs de la Nonne sanglante.

J’avais bien répondu à Roqueplan me redemandant cette pièce : «Prenez-la !» mais c’était un peu avec l’accent de Léonidas répondant à Xerxès qui lui demandait ses armes : «Viens les prendre !»

D’ailleurs, il s’agissait de ce fameux règlement qui interdit à un compositeur investi d’un emploi à l’Opéra d’écrire pour ce théâtre ; bien que M. Diestch, directeur des chœurs, y ait fait jouer son Vaisseau fantôme (dont le poëme, composé par Richard Wagner, avait été acheté cinq cents francs à ce dernier, et donné à ce même Diestch, qui inspirait à M. le directeur beaucoup plus de confiance que Wagner, pour le mettre en musique !) bien que M. Benoist, accompagnateur du chant, y ait fait représenter son Apparition, et malgré l’exemple de M. Halévy, qui, à l’époque où il remplissait les fonctions de directeur du chant à l’Opéra, y fit néanmoins jouer la Juive, le Drapier et Guido et Ginevra. Toutefois Roqueplan avait ainsi une apparence de prétexte en déclinant la possibilité de la représentation de ma Nonne sanglante. Mais me trouvant maintenant fixé à Londres, hors de l’atteinte d’un règlement qui ne m’était plus appliquable, j’écrivis à Scribe pour le prier d’avoir le dernier mot de nos deux directeurs. «S’ils consentent, lui disais-je, à maintenir le traité que nous avons signé avec M. Pillet, veuillez les prier de m’accorder le temps dont j’ai besoin pour terminer ma partition. La direction de l’orchestre de Drury-Lane, ne me laisse pas le loisir de composer ; vous n’avez pas vous-même terminé votre livret. Je désire méditer et revoir longuement cet ouvrage, lors même qu’il sera entièrement achevé ; et je ne puis m’engager à le laisser paraître en scène avant trois ans. Si MM. Roqueplan et Duponchel ne veulent pas nous accorder cette latitude, ou s’ils se refusent, chose plus probable, à sanctionner notre traité, alors, mon cher Scribe, je n’abuserai pas davantage de votre patience, et je vous prierai de reprendre le poëme de la Nonne pour en disposer comme il vous plaira.»

Ce à quoi Scribe me répondit, après avoir vu les directeurs, que ces messieurs nous sachant fort loin d’être prêts, acceptaient la Nonne, à condition de pouvoir la mettre à l’étude immédiatement, et termina ainsi :

«Donc, je ne pense pas qu’il y ait chances bien favorables pour nous, et puisque vous avez la bonté et la loyauté de me laisser la disposition de notre vieux poëme, qui attend depuis si longtemps, je vous dirai avec franchise que j’accepte et que je chercherai ici, soit avec le théâtre National qui vient d’ouvrir, soit ailleurs, à lui trouver un placement.» Ainsi fut fait. Scribe reprit son poëme ; il l’offrit ensuite, m’a-t-on dit, à Halévy, à Verdi, à Grisar, qui tous, connaissant cette affaire, et considérant la conduite de Scribe, à