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LA VILLE AUX ILLUSIONS

il était libre sitôt l’entr’acte, c’est-à-dire vers dix heures et demie… S’il tombait malade, que deviendrait Marcelle ?

Il résolut d’aller la voir le lendemain soir, afin de savoir comment allaient ses affaires… Peut-être aurait-elle trouvé un emploi lucratif…

Le lendemain, il se leva, préoccupé… Un gai soleil printanier égayait la nature. Mais la nature existe-t-elle à Paris ? Il songea qu’à Gréoux, les boutons d’or étaient en fleurs, et les marguerites devaient déjà étoiler tous les sentiers… À la ferme, on reprenait les travaux des champs ; le père devait avoir déjà engagé ses ouvriers… toujours les mêmes, d’ailleurs… qu’il gardait pendant tout le temps que demande la terre… À l’automne, seulement, chacun rentrait chez soi et restait au coin de l’âtre en attendant le retour de la belle saison…

Comme les bois devaient sentir bon, sous l’éclosion des feuilles nouvelles ! Les coucous commençaient leurs appels et les bourgeons, déjà grandelets, faisaient craquer leur robe brune…

Il ferma les yeux, croyant revoir devant lui la lumineuse intensité des champs… Tout s’éveillait à la fois ; le long des berges, les gamins allaient polissonner, les hirondelles devaient être déjà de retour sous un soleil déjà chaud… Les bergers allaient se préparer à remonter les pentes du Lubéron… Le lait devenait abondant ; maman Gardin allait sûrement recommencer ses « caillées », les exquis petits fromages qu’on ne faisait qu’au pays…

— Eh bien ! Gardin ? Vous dormez ?

La voix sèche du chef de manutention arracha le jeune homme à son rêve. Il tressaillit et ouvrit les yeux.

— Pressons un peu ! Il y a ces trois caisses à livrer rue d’Amsterdam… Ce n’est pas le moment de flâner !

Il tourna les talons et remonta l’escalier aux marches raides. Jean, arraché à son rêve, s’avança vers les colis à monter. Qu’il était loin des fraîches cam-