Page:Bernède - La Ville aux illusions, 1936.djvu/121

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passer notre existence, vous à taper des enveloppes, ce qui est une besogne idiote, moi à trimbaler des paquets sur les gros ballots de livres enfermés dans leur caisses, ce qui ne l’est pas moins ?

— Que voulez-vous ? Il faut bien se résigner… Nous n’avons rien trouvé de mieux, ni l’un ni l’autre… Et il faut manger…

Mais il secoua farouchement la tête.

— Non, non ! Je vous déclare tout net que moi, j’en ai assez ! Et si vous voulez m’écouter, j’ai une meilleure situation à vous proposer…

Du coup, l’étonnement de la jeune fille se changea en stupéfaction.

— Vous ?

— Oui, moi ! Marcelle… voulez-vous retourner à Gréoux ?

Elle le considéra un instant, suffoquée. Puis, elle s’écria :

— Retourner à Gréoux ? Mais je n’ai plus personne, là-bas, moi ! Vous savez bien que ma mère est morte… Retournez-y, vous, Jean… Vous avez raison… Votre père possède une belle propriété. Avec ce que vous savez, vous pouvez la mettre en valeur… C’est une excellente idée…

Elle se tut, car l’émotion l’étranglait. Elle comprenait qu’elle allait sans doute perdre l’unique compagnon qui la soutenait et lui témoignait un affectueux intérêt… Plus que jamais, elle allait rester toute seule… Mais, au moins, lui, là-bas, serait heureux. La vie campagnarde est large et facile, et les menus de jeûne, qui vous laissent aussi affamés que lorsqu’on se met à table, sont inconnus là-bas… La nature est riche, et offre généreusement ses trésors…

Elle reprit, domptant son émotion :

— Allez-y, Jean… C’est une existence plus douce qui vous attend…

— Si votre mère vivait encore, Marcelle, y retourneriez-vous ?

— Si j’avais la possibilité de gagner ma vie, là-bas, certes ! ce serait avec joie । J’ai toujours haï la ville…