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LA VILLE AUX ILLUSIONS

d’avoir un fils si intelligent et si vif, n’avaient pas hésité, sur le conseil de l’instituteur, à le faire entrer au collège « en » Avignon. Là, ses succès avaient continué. Il s’était heurté à de sérieuses concurrences qui avaient excité son émulation. Il venait de terminer brillamment ses études en enlevant le diplôme du baccalauréat. Maintenant, il voulait faire son droit. Et ses parents n’avaient pas encore dit non. Cette préparation allait leur coûter beaucoup d’argent… Mais le père avait décidé qu’on ferait des sacrifices ; on se serrerait un peu plus la ceinture. Il ne fallait pas compromettre l’avenir du fils par des économies mal entendues… La mère Gardin avait donc monté le trousseau de Jean. Une certaine somme lui avait été confiée pour l’achat des livres. On le savait sérieux. L’argent ne serait pas dépensé mal à propos. Quant à sa pension, un mandat mensuel devait l’assurer. Pension modeste, certes, mais un jeune homme, à Paris, peut vivre économiquement. Il n’avait besoin de rien pour son entretien. Tout était neuf. Pour le logement et la nourriture, ce que pensait lui donner son père devait l’assurer. Les choses ainsi réglées, il n’y avait plus qu’à attendre la date fixée pour le départ.

Celui-ci eut lieu dès le troisième jour d’octobre. Il avait plu, la nuit et une odeur de terre mouillée s’évaporait de la terre fraîche. L’automne démaillottait lentement les arbres de ses brumeuses mousselines.

Dès le matin, le père Gardin avait attelé Marquise, la jument alezane, au char-à-bancs, et on avait hissé la malle, haute et bombée, qui venait du grand-père Étienne. Jean devait prendre à Avignon le train de neuf heures vingt-deux. Avant, on avait en le temps d’avaler un bon bol de café, accompagé de deux ou trois tartines beurrées, taillées dans le cœur de la miche de dix livres, afin d’attendre le déjeuner. Maman Gardin avait préparé le repas de midi, soigneusement enveloppé d’abord dans du papier blanc, puis dans deux journaux.