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LA VILLE AUX ILLUSIONS

— Té ! avait dit le père Gardin, ça t’économisera le wagon restaurant ! Tu mangeras mieux et tu aurais payé les yeux de la tête… Le monde est si voleur au jour d’aujourd’hui…

Enfin, l’équipage s’était mis en route, accompagné par les bonjours que maman Gardin faisait, devant la porte, avec son mouchoir… Deux ou trois voisines étaient venues, elles aussi, pour dire au revoir au « Parisien » et aussi pour apporter quelque réconfort à la pauvre vieille, qui avait le cœur bien gros, en voyant partir son « fî ». Mais, bah ! la vie est la vie, n’est-ce pas ? On ne peut pas toujours couver son garçon comme une mère poule son poussin ! Quand il lui pousse des plumes, il faut bien le laisser s’envoler !

Le voyage en carriole se fit presque silencieusement. Quelques rares phrases furent échangées. Le vieux Gardin était ému, lui aussi, bien qu’il ne voulût point le montrer. Du bout de son fouet, il montrait des lopins de terre, et lançait quelques réflexions accueillies sans commentaires par le garçon.

Enfin, on arriva à la gare. La ville était toute bruissante, car c’était jour de foire. Le père Gardin avait calculé de la sorte, car il avait justement à voir un marchand de bestiaux du côté des Lubérons. De cette façon, on ferait d’une pierre deux coups.

On fit enregistrer la malle. Le train s’annonça presque aussitôt. Le père et le fils s’embrassèrent, puis se séparèrent après que Jean eût promis d’envoyer une carte postale dès le lendemain, afin de donner des nouvelles de son voyage.

Son billet à la main, il se rendit sur le quai, tenant sa valise et son paquet de victuailles. Il choisit un compartiment de troisième et s’y installa, après avoir fait, grâce au couloir, une rapide inspection des lieux.

Il y avait du monde. Cependant, il trouva un coin et se hâta de l’occuper. Deux jeunes femmes lui faisaient vis-à-vis ; plus loin, un couple d’un certain âge, enfin, un vieux monsieur qui avait l’air d’un ancien militaire.