Page:Bernède - La Ville aux illusions, 1936.djvu/17

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
15
LA VILLE AUX ILLUSIONS

Jean avait acheté des journaux ; tout de suite, il se plongea dans la lecture. Il avait horreur de voyager seul, sans avoir quelques revues à sa portée. Il ne savait que faire de ses yeux ne sachant où les poser.

Le train se remit en marche. Cette fois, il sembla au jeune homme que là était le point de départ de sa nouvelle existence.

Vers midi, sentant la faim le tenailler, il se mit en devoir de déballer son déjeuner. Mais la présence de ses voisins le gênait considérablement… Maman Gardin avait mis un petit poulet froid, une bouteille de vin rouge, une moitié de saucisson à l’ail, du pâté de lapin et une énorme tranche de galette… Ordinairement, ce menu plantureux n’aurait pas effrayé le robuste appétit du jeune homme. Sous les regards curieux et narquois de ses compagnons de route, il sentait chaque bouchée l’étrangler au passage… Quand il entama le saucisson à l’ail, l’une des jeunes femmes se boucha ostensiblement le nez, puis lira d’une poche une demi-douzaine de bananes et deux brioches, qu’elle picora de moitié avec son amie. Le vieux monsieur genre militaire se leva et passa au wagon-restaurant. Quant au couple d’un certain âge, ils sortirent des sandwiches et une bouteille de limonade. Jean ne put s’empêcher de devenir rouge jusqu’aux oreilles et de penser que sa mère le prenait vraiment pour un gargantua…

Il faisait nuit noire lorsque le train arriva enfin à la gare du P. L. M.

Déjà, des milliers de petites lumières de toutes les couleurs avaient signalé l’approche de la capitale. La locomotive donna un dernier effort, s’époumona, siffla, geignit de tous ses freins, ralentit et enfin s’arrêta.

Immédiatement, ce fut la ruée. Par toutes les portières, des grappes sombres sortirent et furent happées par d’autres ombres qui s’avançaient sur les quais. Des parents, des amis guettaient les voyageurs.

Jean savait bien que personne ne l’attendait. Il fila, tout étourdi par l’immense rumeur, et avec le désir