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LA VILLE AUX ILLUSIONS

soldats, permissionnaires de la journée, allaient, les bras ballants, d’un pas alourdi par les godasses réglementaires, tâchant de trouver quelque distraction en rapport avec leur modeste porte-monnaie, et regardant à droite, puis à gauche, croyant toujours voir ce qu’ils espéraient trouver. Derrière Jean, l’obélisque de ta place de la Concorde piquait vers le satin du ciel sa fine aiguille de granit ; devant lui, l’arc majestueux de l’Étoile se silhouettait dans la brume dorée. Jean était encore trop profondément terrien pour comprendre la sublime beauté qui se présentait à lui ; spectacle auquel la nature n’avait pas participé, mais qui était un chef-d’œuvre de l’homme, et l’un des plus magnifiques qu’il soit donné de contempler.

L’avenue des Champs-Élysées est longue ; quand le jeune homme arriva place de l’Étoile, il était plus de deux heures. Il jugea qu’il pouvait se présenter. Mais, pour gagner l’avenue Hoche, il lui fallait franchir ce flot mouvant de véhicules vrombissants. La traversée des chaussées encombrées était une chose à laquelle il ne s’était pas encore complètement habitué, et un petit frisson involontaire lui parcourait l’échine, lorsqu’au milieu de la rue, même sur le passage clouté, il voyait arriver sut lui à toute vitesse un de ces monstres modernes.

Cependant, grâce au bâton blanc bénévole d’un agent, cette action difficile s’accomplit aisément. Quelques instants plus tard, Jean cherchait des yeux le numéro dix-neuf de l’avenue Hoche.

Il ne tarda pas à le trouver. C’était un bel immeuble, précédé d’un minuscule jardin, où fleurissaient des dalhias et des fleurs compliquées dont le jeune homme ignorait le nom.

À son coup de sonnette timide, un grand valet en livrée vint ouvrir.

— Est-ce que Madame et Monsieur Fousserel sont ici ? interrogea-t-il.

— De la part de qui ? fit l’imposant serviteur, sans répondre à la question.