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LA VILLE AUX ILLUSIONS

Arlette remonta dans la grande auto grise qui l’attendait un peu plus loin, et Jean reprit le chemin de son logis, tout préoccupé. C’est vrai, il y avait la question du smoking ! il n’y avait point pensé, et sa brave femme de mère n’y avait pas plus pensé que lui, lorsqu’elle avait composé son trousseau… il fut cruellement embarrassé… Ses finances lui interdisaient d’une façon absolue l’achat coûteux de ce costume de cérémonie ; d’ailleurs, il ne pouvait raisonnablement consacrer un mois de sa pension, et même davantage, pour cette folie… D’un autre côté, refuser… Il ne s’en sentait pas le courage… Et puis, il avait dit oui… On allait compter sur lui… La raison lui suggérait bien quelques expédients : téléphoner, par exemple, qu’il était souffrant, ou qu’il n’avait pas songé à un rendez-vous pris antérieurement… Mais si, par hasard, les Fousseret avaient vent de la vérité ? Ils cesseraient de l’inviter, et le jeune homme devait convenir maintenant que ces échappées dans ce milieu luxueux, et surtout la présence d’Arlette, lui devenaient de plus en plus indispensables…

Ce fut en proie à ces perplexités qu’il se rendit au cours, l’après-midi.

Il allait entrer à l’École, lorsqu’il rencontra sur les marches son copain Georges Morin. Il ne fallut pas deux coups d’œil à celui-ci pour voir que son condisciple avait des ennuis.

— Ben ! qu’est-ce que tu as, mon vieux ? s’enquit-il, étonné. Tu en fais une tête !

Jean faillit nier. Mais soudain, une inspiration lui traversa l’esprit : peut-être que Georges, lui, trouverait une combinaison !

— Tu as raison, dit-il. Figure-toi que je me trouve dans un fichu embarras…

L’autre lui lança un coup d’œil :

— Galette ?

— Il ne s’agit pas de ça… Je suis invité à aller ce soir à l’Opéra…

— Et c’est ça qui te fait faire une figure de l’autre monde ?